Interview de Catherine Tourette-Turgis, directrice et fondatrice de l’université des patients
À l’occasion de notre 15e newsletter, nous avons interrogé Catherine Tourette-Turgis sur le parcours et les détails du cursus Patient Expert.
Catherine Tourette-Turgis est Professeure des Universités à Sorbonne Université et chercheure au Conservatoire des Arts et Métiers. Elle a fondé l’Université des Patients délivre à ce jour trois différents DU : un DU en Éducation Thérapeutique du Patient, un DU en Démocratie en santé, et un DU de patient partenaire en cancérologie. C’est à ce sujet que nous l’avons interrogé à l’occasion de notre 15e newsletter.
Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre parcours ?
Catherine Tourette-Turgis : Je suis Professeure des Universités à Sorbonne Université et chercheure au Conservatoire des Arts et Métiers dans une unité de recherche qui s’intéresse à toutes les formes d’apprentissage professionnels des adultes. J’ai commencé ma carrière universitaire comme enseignant-chercheure en sciences humaines et sociales et la pédagogie au début des années 80.
Engagée dans la défense des droits des minorités, un événement a bouleversé à jamais ma vie en 1984 avec ma rencontre avec des malades du Sida qui étaient mes proches et qui mouraient dans des conditions inacceptables. Cette période de ma vie a définitivement déterminé mon engagement militant aux côtés des malades. C’était en effet des gens de mon âge qui mouraient et on ne disposait ni de médicaments ni de dispositif de soin ou d’accompagnement. Plus grave, ces personnes étaient discriminées, stigmatisées, refusées dans certains services de soins.
Dans mes activités d’accompagnement de malades dans les associations françaises et américaines (Paris et San Francisco), j’ai pu constater à quel point les malades n’étaient pas le problème mais la solution car ce sont eux qui ont guidé l’Etat pour la mise en place de campagnes de prévention. Ce sont également eux qui ont obligé les agences de santé à précipiter la mise sur le marché de médicaments efficaces.
Ce sont eux enfin qui ont modifié à tout jamais la relation médecin/malade ! Pour ma part j’ai développé un type d’approche et d’accompagnement comme le counseling dans l’accompagnement des malades du sida que j’ai ensuite déployé dans le champ de l’observance thérapeutique et plus récemment du cancer. Je conduis actuellement un travail de plaidoyer sur le nécessaire accompagnement des personnes après la phase intensive des traitements dans le cancer et j’implante des cafés du rétablissement dans les services en oncologie !
Pouvez-vous présenter l’Université des Patients et ses objectifs ?
Catherine Tourette-Turgis : Lors de mes dix années passées à San Francisco, j’ai mis au point un modèle d’accompagnement des malades et des proches et j’ai participé à la création des premières universités VIH – Sida lors de l’arrivée des trithérapies en 1995.
À mon retour en France, en 2006, l’idée de créer une université des patients est devenue pour moi une évidence. En 2009, je dirigeais le DU et le master d’Education thérapeutique à l’UPMC (Sorbonne Université aujourd’hui). J’ai alors innové en ouvrant les diplômes que je dirigeais en éducation thérapeutique aux malades. Ce fut l’acte de naissance de l’Université des Patients abritée désormais par la faculté de médecine Sorbonne Université.
L’Université des Patients-Sorbonne est un dispositif qui consiste à développer des cursus diplômants à destination des malades désirant transformer leur expérience en expertise au service de la collectivité. Chaque diplôme est aussi ouvert aux professionnels de santé, ce qui permet une formation hybride professionnels de santé et patients en même temps. L’Université des Patients – Sorbonne reste ce jour pionnière dans la validation, via la diplomation, des acquis de l’expérience de la maladie.
L’Université des Patients apporte aussi son soutien aux étudiants et diplômés dans leur parcours de vie et professionnel en orientant, ceux qui le souhaitent, sur le chemin de la professionnalisation en lien avec les nouveaux métiers de la santé (Institut Curie, ICM, Oncopole de Toulouse, HCL…). Certains deviennent « patient conseil » dans les agences sanitaires ou patients enseignants dans la formation des soignants (IFSI notamment) …
Pouvez-vous nous parler du Diplôme Universitaire ?
Catherine Tourette-Turgis : Trois diplômes universitaires (DU) sont proposés : un DU en Education thérapeutique du patient (ETP), un DU en Démocratie en santé et un DU de patient partenaire en cancérologie. Un nouveau diplôme sera lancé en 2020 : le DU de mentor du rétablissement en cancérologie. Chaque DU s’appuie sur les recommandations et les orientations du système de santé qui recommande d’intégrer des patients dans les structures de soin.
Le DU d’éducation thérapeutique se réfère à la loi HPST (« Hôpital, patients, santé et territoire ») de 2009, le diplôme en démocratie en santé à la loi de 2002 et à celle de modernisation du système de santé de 2016 qui recommande d’inclure des patients et des représentants d’associations dans toutes les instances délibératives et consultatives en santé. Le DU de patient partenaire en cancérologie puise sa légitimité dans le plan cancer 3. A ce jour, près de 200 patients ont été diplômés depuis la création de l’Université des Patients.
Quel est le rôle d’un patient-expert ?
Catherine Tourette-Turgis : Le patient expert une fois formé consiste à apporter à une équipe, une association, de patients, une institution de soin, une agence sanitaire, son expertise et ses compétences et ses savoirs expérientiels mis en forme à l’issue de sa formation. Il peut animer des ateliers d’échange d’expériences, participer à la construction de plaidoyers, enseigner et participer à la formation de professionnels de santé, conduire des enquêtes selon une perspective patient, participer à la gouvernance d’un hôpital, recueillir la parole des malades… La liste des activités pouvant être conduite de manière tout à fait pertinente par un patient expert est très large, la seule exigence est qu’il soit formé pour pouvoir exercer un certain nombre d’activités qui nécessitent un savoir-faire et un savoir-être ainsi que des connaissances précises du système de santé.
Comment voyez-vous l’évolution du patient-expert dans les prochaines années ?
Catherine Tourette-Turgis : Nous entrons dans une nouvelle ère dans laquelle les patients experts prendront une place croissante dans les choix et les décisions, non seulement qui les concernent mais qui concerne l’organisation du système de santé et des soins. De nombreux parcours de soin sont totalement à revoir car ils ont été conçus selon une perspective hospitalière et administrative, et ne répondent pas aux difficultés rencontrées par les malades et leurs proches dans la vraie vie. Nous avons très peu de choses sur l’expérience vécue de la maladie au quotidien, l’expérience du soin et des traitements, or là nous avons crucialement besoin de collecter l’expérience patient afin de voir comment améliorer la qualité de vie et aussi la qualité des soins en fonction des besoins non satisfaits formulés par les patients.
Nous sommes entrés dans un dynamique: le fameux « jamais sur nous sans nous ! ». La prise en compte de l’expérience patient est une variable incontournable dans l’amélioration du système de soin et de son amélioration.