Interview de Teresa ANTONINI, hépatologue impliquée pour la transition
Pour la 28e Newsletter FILFOIE, nous avons interrogé Teresa ANTONINI, hépatologue, sur ses expériences, ses projets autour de la transition et notamment son implication au nouveau Réseau FILFOIE de la Transition (ReFiT).
Teresa Antonini est hépatologue et responsable du programme de greffe hépatique adulte au CHU de Lyon. Impliquée fortement dans la transition, nous avons eu l’opportunité de l’interroger sur son expérience et ses différents projets autour de la transition notamment ses nouvelles actions pour le Réseau FILFOIE de la Transition (ReFiT).
Pouvez-vous présenter votre parcours et votre implication dans la transition ?
Je suis italienne et je suis arrivée en France au cours de mon internat. J’ai travaillé au Centre Hépato-biliaire de Paul Brousse qui est Centre de Référence constitutif des Maladies Inflammatoires des Voies Biliaires et Hépatites Auto Immunes (MIVB-H). J’y ai notamment été chef de clinique et ensuite praticienne hospitalière pendant 18 ans. Je suis ensuite partie à Lyon à l’hôpital de la Croix Rousse (réseau MIVB-H) en tant que responsable du programme de greffe hépatique adulte.
J’ai commencé à travailler à améliorer le parcours patient des jeunes arrivants à l’âge adulte pendant mes premières années d’exercice au Centre Hépato-biliaire. J’ai été très rapidement frappée par les difficultés des jeunes patients et de leurs familles lorsqu’ils arrivaient dans un service de médecine adulte dont la prise en charge était différente de la pédiatrie… Fini les nounours dans la salle d’attente et bonjour les murs gris et les patients plus âgés. En plus des différences de la prise en charge médicale entre les deux services (qui n’étaient à l’époque ni expliquées ni comprises), il y avait aussi la douleur de la séparation ‘brutale’ avec le pédiatre qui suivait le jeune depuis le plus jeune âge avec une sensation d’abandon qui rajoutait de l’angoisse à ce grand changement et rajoutait une difficulté supplémentaire à la construction d’une alliance thérapeutique avec ces patients. Côté médecin c’était également difficile car il fallait « absorber » en 15 minutes de consultation l’histoire de 18 ans de combat pour la santé, les désirs du jeune, ses difficultés (en pleine adolescence) et avoir un peu de temps pour les familles. C’était évident pour moi qu’il fallait créer un parcours spécifique pour ces jeunes.
J’ai pu organiser cette prise en charge particulière grâce aux échanges (et aux exigences parfois !) émises par les pédiatres de Necker (Pr Dominique Debray) et ceux du Kremlin Bicêtre (Dr Dalila Habes).
Quelle est l’importance de la transition dans le parcours de vie du jeune et de ses parents, en particulier dans le contexte des maladies rares du foie ?
Presque toutes les maladies hépatiques qui débutent en âge pédiatrique sont des maladies rares. Grâce aux progrès de la médecine, ces jeunes qui mouraient en bas âge ont pu être greffés et arriver à l’âge adulte : c’est ce qu’on a vu pendant les derniers 15-20 ans. Et de nos jours grâce aux progrès plus récents, ils arrivent chez les hépatologues adultes avec leur foie natif.
La transition en hépatologie a été définie par le référentiel de compétences que nous avons créé avec l’aide de FILFOIE comme le « Temps spécifiquement dédié à préparer le transfert de responsabilité du suivi médical vers le suivi autonome du patient adulte responsable ». J’adore et je déteste cette définition à la fois car elle met bien en avant la nécessité de préparer les jeunes (c’est donc le travail des pédiatres), mais aussi la responsabilité de l’équipe des médecins adultes dans la prise en charge de ces patients. L’adolescence est un âge difficile pour tous, et on sait que dans la population des jeunes avec une maladie chronique, cette période est particulièrement ‘dangereuse’ car le nombre des ruptures de suivi, de dépression et de suicide double. Quand on accepte le suivi médical de ces patients, on accepte aussi de les aider dans les choix de leur scolarité, dans l’acceptation de l’image de soi, de discuter avec les familles etc. Il faut donc pouvoir leur consacrer du temps.
Comment se déroule cette période de transition et de transfert dans votre centre, quels sont vos liens avec les autres centres pédiatriques ?
La période de transition s’articule en 3 phases.
La première est en pédiatrie, quand les collègues pédiatres estiment que le jeune est prêt, ils commencent à le prendre en charge d’une manière différente, ils le responsabilisent, ils lui réexpliquent sa maladie, les complications, les rôles des différents médicaments etc. A Lyon, avec le Dr Noémie Laverdure, pédiatre à l’hôpital Femme-Mère-Enfant (et grâce à l’appel d’offre de la DGOS sur les maladies rares) nous avons créé le programme d’éducation thérapeutique LIFT (Lyon, Foie et Transition), qui prévoit un premier parcours en pédiatrie, réalisé lors de la première phase, et un deuxième parcours qui est réalisé dans mon service de médecine adulte (hôpital de la Croix Rousse).
Ensuite on passe à la deuxième phase avec la présentation du médecin adulte (en général jamais avant 16 ans). On peut avoir recours soit à des consultations conjointes (à Lyon je me déplace en pédiatrie) soit avec des consultations alternées (ce que je faisais à Paul Brousse). Ayant l’expérience des 2, j’ai une petite préférence pour les consultations conjointes car c’est très intéressant de voir l’interaction jeune-pédiatre, ça permet de savoir ce qui est dit au jeune et de le rencontrer avant qu’on ait à prendre des décisions médicales. On explique aussi les différences entre la prise en charge pédiatrique et adulte ce qui permet aux jeunes et à la famille de ne pas être trop déstabilisés quand ils arrivent enfin en service de médecine adulte. Enfin on donne nos coordonnées afin qu’ils puissent nous joindre pour toutes questions.
La troisième et dernière phase est la prise en charge en médecine adulte avec des créneaux horaires plus longs que d’habitude. A Lyon j’ai créé une consultation dédiée aux jeunes. La première consultation dure une heure : on leur présente le service, on rediscute des points abordés avec les pédiatres, ils rencontrent les membres de l’équipe et on leur propose systématiquement de rentrer dans le parcours LIFT. Pendant cette consultation je fais en sorte que la psychologue du service et l’IDE de transplantation soient présentes afin qu’en cas d’absence ils puissent avoir d’autres points de repère. Bien évidemment à la fin de la consultation on n’oublie pas de renvoyer un courrier aux pédiatres pour donner des nouvelles et en cas de problème je n’hésite pas à rappeler le pédiatre pour avoir son avis.
Vous avez récemment soumis un projet de « réseau transition » au sein de la filière FILFOIE, pouvez-vous expliquer en quoi cela consiste et les 1ères étapes de travail ?
Avec le temps je me suis rendue compte de 2 réalités, la première c’est que certains jeunes après la pédiatrie ne sont pas repris en charge dans des centres experts FILFOIE (Centre de Référence ou de Compétence) et la deuxième est que tous les hépato-gastroentérologues ne sont pas formés à la prise en charge de ces maladies, qui en plus d’être rares, peuvent être syndromiques.
J’ai donc proposé de créer le Réseau FILFOIE de la Transition (ReFiT) dont le but est de désigner un référent dans chaque centre expert (Référence ou Compétence) pour chaque réseau de la filière et de l’afficher sur le site de FILFOIE.
Afin de connaitre les pratiques actuelles des pédiatres et des hépatologues des centres experts FILFOIE et de réaliser un état des lieux de la transition, un questionnaire a été envoyé à chaque responsable des trois réseaux.
De plus, il nous semblait essentiel de questionner les jeunes concernant la transition (leur inquiétude, leur vécu…). Ainsi, nous avons élaboré un questionnaire pour les jeunes et les parents avec l’aide des associations de patients/parents. Les réponses nous permettront d’ajuster notre prise en charge.
Selon vous, quelles répercussions ce projet peut-il avoir sur le parcours de soin sur le long terme et au sein de la collaboration avec la filière et les centres ?
J’espère que ce travail aura beaucoup de répercussions à différents niveaux :
• Faciliter la transition là ou des programmes ne sont pas encore structurés.
• Trouver rapidement le correspondant en cas de changement de région.
• Diminuer l’errance médicale de certains jeunes qui sont déjà sortis de la pédiatrie sans ‘avoir été transitionnés’ et qui n’arrivent pas à trouver des spécialistes de certaines maladies rares.
• Garantir une offre de soins complète là où il existe des maladies syndromiques dont la prise en charge n’est pas que hépatologique.
De plus, il s’agit de maladies dont on n’a pas de recul sur le devenir au long terme, il me semble donc indispensable de structurer la collaboration entre les centres afin d’avoir un réseau de collaboration scientifique et à moyen terme multidisciplinaire.
Mais bien évidemment et avant tout j’espère que ce travail permettra de faciliter la vie de nos jeunes patients et de leurs familles en continuant ce que les pédiatres ont fait avant nous.