Interview de Karima Ben Belkacem, Attachée de Recherche Clinique Maladies Rares
Pour la 21e Newsletter Filfoie, nous avons interrogé Karima Ben Belkacem, Attachée de Recherche Clinique Maladies Rares, sur les essais cliniques et l’intégration de patient·e·s à ces essais.
Karima Ben Belkacem, Attachée de Recherche Clinique Maladies Rares, travaille au Centre de Référence des Maladies Inflammatoires des Voies Biliaires et Hépatites Auto-Immunes. Elle travaille sur différents essais cliniques et est au plus proche des patient·e·s. C’est à ce sujet que nous l’avons interrogée à l’occasion de notre 21e newsletter.
Pouvez-vous présenter votre parcours ?
Karima Ben Belkacem : À la fin de mes études supérieures en biologie, j’ai suivi une formation en métiers de recherches cliniques à l’institut Clinact. J’ai eu l’opportunité de consolider mes acquis théoriques par un stage de 6 mois à l’hôpital Jean Verdier. Au cours de ce stage, j’ai eu la chance de travailler avec le Pr D. Roulot sur un projet collaboratif multicentrique portant sur l’élastométrie hépatique chez les patients diabétiques. C’était mes premiers pas en hépatologie. À la fin de mon stage, j’ai été recrutée dans le même service pour travailler sur des projets recherches ANRS sur les hépatites virales, en tant que technicienne de recherche dans un premier temps, puis en tant qu’ARC monitor. En 2016, j’ai rejoint le Centre de Référence des Maladies Rares du Foie à l’hôpital Saint Antoine. Je travaille depuis sur des études thérapeutiques et observationnelles, industrielles et académiques de différentes phases (Phase 2 à 4) portant sur les différentes maladies rares du foie chez l’adulte. Je coordonne également un projet international nommé FICUS, sur l’étude prospective de la valeur pronostique de l’élastométrie impulsionnelle (Fibroscan) chez les patients atteints de Cholangite Sclérosante Primitive (CSP).
Comment un patient peut-il participer à un essai clinique ? Quelles sont les différentes étapes pour qu’un patient soit intégré à un essai ?
Karima Ben Belkacem : Toute étude clinique est menée sur un échantillon de patients sélectionnés par l’investigateur. Pour être éligibles à l’essai, les patients sélectionnés doivent répondre à des critères de sélection spécifiques à chaque étude. Ces critères d’éligibilité à la participation décrivent les caractéristiques qui doivent être partagés par tous les participants sur une étude spécifique, afin d’obtenir des résultats exacts et explicites.
Toute personne qui se prête à une recherche biomédicale doit être volontaire et doit recevoir préalablement une information claire sur cette recherche par le biais d’une note d’information destinée aux patients. Ce document reprend toutes les informations importantes à connaitre sur l’étude (le déroulement de l’essai, son objectif, les visites attendues, sa durée, ses avantages et ses risques…). Le patient est encouragé à discuter avec l’équipe de recherche pour s’informer et avoir la réponse à toutes ses interrogations.
Une fois que le patient a pris la décision de participer à l’essai, une visite de sélection est organisée au niveau du centre. Le patient procèdera à la signature d’un consentement éclairé en présence de l’investigateur. Ce consentement est indispensable avant de débuter tout acte médical prévu par l’étude à laquelle il participe. Lors de cette visite le patient réalisera un examen clinique avec son médecin et procédera à une série d’examens prévus dans le protocole et spécifiques à chaque recherche, afin de vérifier son éligibilité à participer à l’étude.
Quelles sont les différentes étapes une fois que le patient fait partie de l’étude ?
Karima Ben Belkacem : Cela est spécifique à chaque étude et dépendra du schéma prévu dans le protocole. On est tenu de respecter toutes les modalités de prise en charge et de suivi d’un patient qui entre dans un essai clinique. Elles sont définies avec précision et préalablement soumises à diverses réglementations (nationales et internationales) et à des organismes de contrôle très rigoureux.
Prenons par exemple l’étude Bezascler. C’est un essai de phase 3 multicentrique, randomisé et contrôlé en double aveugle, comparant le bezafibrate à un placebo (traitement dénué du principe actif donc d’activité propre) durant 24 mois dans le traitement de la Cholangite Sclérosante Primitive, gardant une cholestase sous acide ursodesoxycholique. L’étude se présente en 3 étapes essentielles qui sont la sélection, la randomisation et le suivi durant le traitement.
Après la signature d’un consentement libre et éclairé par le patient et l’investigateur lors de la visite de sélection,nous avons 2 à 8 semaines pour réaliser l’ensemble des examens requis pour vérifier son éligibilité à participer à l’essai (IRM hépatique, bilan sanguin, signes vitaux, coloscopie…).
Une fois les critères d’inclusion vérifiés, l’investigateur peut procéder à la randomisation du patient dans l’un des deux groupes de suivi. La randomisation (ou tirage au sort) est le procédé par lequel l’attribution d’un traitement à un patient se prêtant à la recherche est réalisée de façon aléatoire, dans le but d’éviter les biais de sélection et permettre la comparaison de 2 groupes strictement identiques.
Pour continuer dans l’exemple de l’étude Bezascler, cette randomisation est en double aveugle et elle est réalisée lors de la visite M0. Lors de cette visite l’investigateur procède à une ultime vérification des critères d’inclusion et réalise la randomisation. Le patient reçoit une ordonnance avec son numéro de kit attribué. Il se rendra par la suite à la pharmacie de l’hôpital pour récupérer son kit de traitement (bezafibrates/placebo) et débutera le traitement le même jour.
Dans le cadre de cette étude une visite de suivi est prévue tous les trois mois jusqu’à la fin de l’essai. Lors de ces visites, le patient réalisera une visite médicale avec l’investigateur pour s’assurer de la tolérance au traitement et la compliance du patient. Il aura également une prise de sang et une vérification de ses signes vitaux et il complétera quelques questionnaires de suivi. À la fin de l’essai, une visite de fin de traitement est réalisée pour clôturer sa participation dans l’étude.
Quel est le nombre de patients nécessaire pour le bon déroulement d’un essai ?
Karima Ben Belkacem : Le calcul de ce nombre tient compte de l’objectif de l’essai et la variabilité du critère de jugement dans la population. C’est la plus petite différence que l’on souhaite détecter ; plus la différence recherchée entre un médicament et son comparateur est petite, plus il faut inclure de patients. Dans le cadre de l’étude Bezascler ce nombre est estimé à 104 patients répartis sur les 35 centres participants.
Travaillez-vous sur différents essais en même temps ?
Karima Ben Belkacem : Oui, je travaille actuellement sur plusieurs études cliniques industrielles et académiques portant sur les différentes maladies rares du foie CSP, CBP, LPAC (tel que Bezascler, RaDiCo-COLPAC, Norurso, Hope, Ficus, Elative,…) .
Je travaille avec toute une équipe de recherche qui compte plusieurs investigateurs, des ARC (Attaché·e·s de Recherche Clinique) et des infirmières de recherche clinique.
Comment travaillez-vous en collaboration avec les autres centres de la filière et les associations de patient ?
Karima Ben Belkacem : Nous travaillions régulièrement sur les mêmes essais thérapeutiques ; ce qui facilite le transfert d’un patient inclus dans notre service vers un autre centre de la filière. Cela permet au patient de poursuivre l’essai sans être obligé d’interrompre son traitement. Nos investigateurs donnent régulièrement des avis sur des cas cliniques compliqués et réalisent des relectures d’imagerie pour confirmer un diagnostic ou bien l’infirmer pour permettre son inclusion dans un essai en cours. Quand notre centre est le seul à être sélectionné pour participer à un essai thérapeutique international, les investigateurs peuvent proposer aux patients suivis dans les autres centres de la filière ou autres de participer à l’essai et d’être suivis durant la durée de leur participation dans notre service, s’ils sont éligibles.
Concernant les associations, nous travaillons beaucoup avec l’association ALBI. Elle nous apporte une aide précieuse pour faire avancer nos projets de recherche. C’est le trait d’union entre le service et les patients. Ils diffusent régulièrement des appels à participation sur leur site internet et participent activement à promouvoir la recherche, ce qui encourage les patients à se rapprocher des centres de la filière et proposer leurs participations aux études cliniques en cours.
Quel est le lien d’un ARC avec le patient ?
Karima Ben Belkacem : Le lien entre l’ARC et le patient est bâti sur une relation de confiance. L’ARC est le garant du respect du protocole et des bonnes pratiques cliniques. Il est le lien entre le patient et l’investigateur.
Le patient est rassuré de savoir qu’il peut nous contacter à tout moment de la journée et qu’on puisse répondre à toutes ses interrogations et ses demandes de précisions concernant le protocole auquel il participe ou il souhaite participer. Nous sommes à son écoute, il nous informe des éventuels effets indésirables ou d’une nouvelle prise de médicaments concomitante. On s’occupe également d’organiser et de lui planifier un calendrier de visites et de lui programmer au préalable les examens prévus par le protocole, afin de simplifier son suivi et lui éviter les contraintes.
Quelles sont les principales craintes des patients ?
Karima Ben Belkacem : Les principales craintes des patients sont d’avoir des effets secondaires imprévus qui compliqueront sa maladie déjà existante. Ils craignent également que le traitement proposé ne soit pas efficace ou qu’ils soient randomisés dans le groupe témoin. Les patients évoquent également la contrainte du temps exigé par l’essai et le fait de devoir se rendre disponibles pour effectuer les visites de suivi et réaliser les examens additionnels.
Pourquoi c’est important que les patients participent à des études cliniques ?
Karima Ben Belkacem : Ce qu’il faut souligner est que tout essai clinique est soigneusement conçu pour engendrer plus d’avantages que de risques pour les participants.
Le protocole de recherche doit être préalablement approuvé par un comité d’éthique. Ce comité est garant de la sécurité, de la légalité et de l’éthique de l’essai. Il s’assure que le protocole est bien conçu et qu’il n’entraine pas de risques inutiles pour les participants.
Les avantages pour le patient sont multiples. Il aura l’opportunité de recevoir le meilleur traitement standard pour lutter contre sa maladie, accompagné du traitement de l’essai, sous une étroite surveillance, pendant et après la fin de l’essai. Si le traitement testé se révèle efficace, il pourra être l’une des premières personnes à en bénéficier.
L’intérêt pour le collectif également, qui permet d’avancer dans la recherche sur la maladie, de participer à améliorer la prise en charge des patients et d’augmenter l’espérance de vie pour les générations d’aujourd’hui et celles de demain. Participer à un essai permet donc de profiter des progrès scientifiques les plus récents et offre parfois une nouvelle chance de guérir et d’améliorer sa qualité de vie.